Le parc Outremont, à la limite du sacré
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- ESPACES VERTS
- Publication : 23 mars 2021
- Par Hélène Côté
« Probablement le plus digne et le plus solennel » des parcs de l’arrondissement, c’est ce que conclut Michel Lincourt1, professeur d’architecture, dans son livre In Search of elegance. On dirait que l’histoire a béni le parc Outremont d’une grâce particulière.
Plusieurs résidants partagent ce sentiment et révèlent leur attachement particulier à cet îlot de verdure « d’une rare beauté », un « joyau de quartier », « un parc romantique», « un havre de paix », « une horizontalité qui repose et détend »2 parmi les nombreux commentaires recueillis lors de la récente consultation publique sur les parcs d’Outremont. À l’heure des débats sur les travaux de réfection à venir, nous ouvrons le coffre aux trésors de ce qui en fait la beauté, la richesse et le charme après 110 ans d’existence.
Le plus ancien parc de l’arrondissement3 Quand les Clercs de Saint-Viateur ont cédé le quadrilatère à la jeune ville d’Outremont en 1898, ils ont obtenu la promesse de faire un parc de cette terre marécageuse alimentée par un ruisseau prenant source dans la montagne. On espérait ainsi stimuler la construction de résidences huppées tout autour. L’histoire a tenu ses engagements, on le constate aujourd’hui. Comme pour la Place des Vosges, à Paris, les bâtiments tout autour forment avec le parc un ensemble élégant et chargé d’histoire.
Les travaux d’assèchement et de nivelage commencent en 1903. La mare devient le bassin McDougall qui servira, des années plus tard, de pataugeoire l’été et de patinoire l’hiver. Déjà, l’obsession des arbres est prévalente, on en plante 50 autour du bassin. Ils sont 235 aujourd’hui. Un plan d’aménagement est déposé en 1909 par Ormiston Roy, régisseur et paysagiste du cimetière Mont-Royal. Mais c’est à partir de 1912 que les ingénieurs de la ville, Jules Duchastel et son adjoint Raoul-Émile Lacroix, vont en faire un vrai parc4, avec des bancs et des lampadaires, un carré de sable, sous l’oeil vigilant et les conseils avisés d’Aristide Beaugrand-Champagne, architecte paysager dont la contribution au patrimoine bâti d’Outremont est immense. On leur doit la qualité de l’aménagement, le souci de la verdure et des végétaux, l’idée d’une fontaine, les allées en étoile qui mènent aux avenues. Des éléments qui s’ajoutent au fait qu’il soit petit, bien défini, sans clôture et accessible de toutes parts, garant de la popularité d’un parc urbain, selon le professeur Lincourt.1. Dans cet îlot de verdure, trois œuvres dont une déjà centenaire, imposent le respect et ajoutent à la richesse du parc : une fontaine, un monument, un chalet.
Les Chérubins, dans la tradition française
Le parc Outremont s’enorgueillit d’être l’hôte de l’oeuvre la plus ancienne de l’arrondissement et certainement la plus emblématique.5 La sculpture Les Chérubins, érigée en fontaine, déploie sa grâce au milieu du bassin central. L’ensemble dégage un calme bucolique. L’oeuvre est inspirée des Groupes d’enfants qui animent les fontaines du Château de Versailles.
Rappelons que cette belle oeuvre en fonte de fer du sculpteur Mathurin Moreau a été coulée au début des années 1900 à la Fonderie d’art du Val d’Osne à Paris, la plus importante en France à cette époque. C’est en 1927 qu’elle « immigre » à Outremont aux mains du maire Joseph Beaubien, qui l’aurait acquise pour sa propriété de la Côte-Sainte-Catherine. Suite à la démolition des résidences pour céder le pas au parc Beaubien6, elle aurait été installée dans le bassin du parc Outremont en 1950. Le père des Chérubins a aussi réalisé la fontaine de Tourny dont un exemplaire se trouve en face de l’hôtel du Parlement, à Québec. Au centre du bassin, la fontaine forme un ensemble inspirant de quiétude devant le monument aux morts.
Le monument Gloria Victoribus, à la mémoire de nos héros
L’auguste cénotaphe sera centenaire en 2025. Il impose le respect et le calme dans cette partie du parc. Ce monument funéraire fut inauguré en 1925 à la mémoire des quelque 250 citoyens d’Outremont, qui ont servi au cours de la Première guerre mondiale, puis au cours de la Seconde, dont une cinquantaine sont morts au combat. La sculpture en bronze de l’artiste Henri Hébert représente une jeune pleureuse, « allégorie de la ville d’Outremont en deuil pour la mort de ses fils »7. L’oeuvre repose sur une stèle de marbre blanc conçue par l’architecte montréalais John Roxburg-Smith. Elle est considérée comme l’un des plus beaux monuments de ce genre au Commonwealth.8
Pourquoi avoir choisi ce parc pour héberger le cénotaphe plutôt qu’un ou l’autre des parcs existants à l’époque, le parc de Vimy ou le parc Douglas Haig (aujourd’hui le parc Kennedy)? Le parc Outremont avait probablement déjà une longueur d’avance en terme de prestige et de notoriété, mais aussi quelques atomes crochus avec l’aire de paix souhaitée par le concepteur des deux parcs, celui d’Outremont et celui du cimetière du Mont-Royal.
Le 11 novembre de chaque année, des citoyens, des élus de différents paliers de gouvernement et des choeurs d’enfants viennent s’y recueillir et honorer respectueusement la contribution de nos héros en ce Jour du Souvenir.
Un chalet, une signature
Le pavillon du parc Outremont ne paie pas de mine aujourd’hui. On a certainement boudé à tort l’entretien de ce bâtiment de dimension modeste. Il a toutefois ses lettres de noblesse. Son concepteur, Aristide Beaugrand-Champagne, avait dans sa mire un petit chalet champêtre dans un environnement bucolique. On reconnaît le revêtement d’origine de crépi blanc et la forme conique du toit, des éléments chers au concepteur, qui font écho à sa résidence qu’il fit construire trois ans auparavant au 345 Bloomfield à l’autre extrémité du parc. M. Beaugrand-Champagne fut aussi le concepteur du parc Saint-Viateur et de son pavillon ainsi que de l’imposant chalet du mont Royal.
L’homogénéité de l’ensemble du parc est remarquable, bien que son aménagement se soit déroulé sur plus d’un siècle. Le bassin et ses joyeux chérubins, le monument à la mémoire de nos héros, les 235 arbres qui le verdissent, les allées en étoile, le petit pavillon de crépi blanc et même les belles résidences, dont quelques centenaires, tout autour, forment un ensemble d’une grande dignité, à la limite du sacré, qui tend vers la notion d’ensemble patrimonial exceptionnel décrit dans les Cahiers d’évaluation du patrimoine urbain de la ville-centre9.. C’est l’aboutissement d’une belle histoire plus grande que nous et cette élévation de l’esprit nous fait du bien en ces temps d’incertitude face à l’avenir.
PHOTOS MARILI SOUDRE-LAVOIE
1- In Search of excellence, Michel Lincourt, 1999, p. 235. L’auteur compare trois sites d’élégance naturelle, le Palais Royal et la Résidence de la Fondation Rothchild Workers à Paris, et la ville d’Outremont, dans laquelle il commente la beauté particulière du parc Outremont, «probably the most dignified and formal ».
2- Commentaires exprimés lors de la consultation publique sur les travaux de réfection des parcs d’Outremont, 2020-2021.
3- Après le cimetière Mont-Royal inauguré en 1852, dans 1875-2000 Outremont, Société d’histoire d’Outremont., 2000
4- Le Parc Outremont, d’eau et de verdure, journaloutremont.com 05/09/2019
5- Elle fit la couverture du livre anniversaire Outremont 1875-2000 produit par la Société d’histoire d’Outremont pour souligner les 125 ans de la ville.
6- Le buste du maire Joseph Beaubien a été érigé en sculpture au parc Beaubien.
7- artpublicmontreal.ca/oeuvre/monument aux braves
8- Pierre Venat, Mémoire vivante, No 38, Société d’Histoire d’Outremont, Automne 2015
9- Ville de Montréal, Cahiers d’évaluation du patrimoine urbain, 2005
Autres sources
Orientation de travail pour la mise en valeur des chalets des parcs d’Outremont, ILOT pour la Ville de Montréal, 15 janvier 2020
Robert Rumilly, Histoire d’Outremont 1875-1975, 1975.
Monique Deslauriers, Raconte-moi Outremont, 1995
Pierre-Richard Bisson, Outremont et son patrimoine, 1993.
Société d’Histoire d’Outremont, Outremont 1875-2000, 2000.
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